Presse

Etonnante influence

L’Express : Actualité, par Huret Marie, publié le 07-12-2000

Quant à moi, demain, j’irai voir un astrologue.

Politiques, artistes, financiers, stars des médias, patrons… personne ne résiste à ces gourous des temps modernes. A tort ou à raison…

Ce soir-là, tout le monde se presse autour du buffet… Des diplomates, des épouses en tailleur Chanel, des membres de la jet-set.

Une coupe de champagne à la main, ils discutent astrologie avec le milliardaire allemand Gunter Sachs, l’ex-mari de Brigitte Bardot, qui fête la sortie de son livre Le Dossier astrologie (Michel Lafon) en France – déjà best-seller en Allemagne. Le cocktail se déroule à la mairie du XVIe arrondissement, le 7 novembre, à Paris. Détendu, le maire Pierre-Christian Taittinger, ancien ministre, raconte ce qu’aucun homme politique ne confierait devant une caméra :

«Nous consultons des experts sur la vache folle et les tempêtes. L’un dit une chose, l’autre son contraire. Les astrologues, eux, peuvent répondre. C’est leur force. Quant à moi, demain, j’irai voir un astrologue.»

L’assemblée a ri, applaudi, et s’est ruée sur les petits-fours. Certes, la formule ressemble plus à une boutade qu’à une révélation sur la vie privée d’un élu. N’empêche, elle en dit long. Elle règle des comptes avec des experts qui, dit-on, ne font pas le poids, quand les hommes politiques se déchargent sur eux. Et légitime la troublante fascination des maîtres du monde pour l’astrologie.

Les grands leaders ont recours aux services d’astrologues

De Boris Eltsine à François Mitterrand, en passant par Juan Carlos, les grands leaders politiques ont presque tous eu recours aux services d’astrologues ou de voyantes. Les plus puissants, les plus cartésiens ne prennent aucune décision sans scruter la configuration des planètes: Mitterrand aurait consulté Elizabeth Teissier au sujet de la guerre du Golfe et du référendum de Maastricht, et l’astrologue Maurice Vasset, alias Regulus, aurait conseillé de Gaulle, de 1944 à 1969.

En sortant d’une séance, les élus croisent, dans les escaliers, des hommes d’affaires, des écrivains, des artistes venus, comme eux, consulter en douce. Show-biz, finance, médias, entreprises, personne ne résiste à ces gourous des temps modernes, même si peu avouent y succomber.

La futuromania des Français

Fin décembre, début janvier, toute la presse populaire et les journaux féminins vont nous annoncer à quelle sauce astrale nous allons être mangés en 2001: «Découvrez votre année comme si vous la viviez», «Quel homme allez-vous rencontrer», etc. Chaque année, le petit vade-mecum d’Elizabeth Teissier Votre horoscope (éd. Filipacchi) s’arrache à plus de 150 000 exemplaires. Et l’incroyable déferlante de livres qui sortent ces temps-ci – les Verseau. L’horoscope 2001, Cancer et autres signes du zodiaque, analysés par Méline, chez Marabout; L’Astrologie pour les nuls (First éditions), ou La Lune dans les signes du zodiaque, d’André et Martine Barbault (éd. Bussière) – témoigne de la futuromania des Français. Un Français sur dix aurait déjà consulté l’un des 10 000 astrologues qui exercent en France. Et, selon le sondage réalisé, cet été, sur le site Au féminin.com, 47% des femmes font plus confiance aux conseils de leur horoscope qu’à ceux de leur compagnon. C’est dire.

C’est du bluff! s’insurgent les scientifiques.

«L’astrologie est bidon, parce qu’elle se fonde sur une connaissance du ciel complètement dépassée, affirme l’astrophysicien Daniel Kunth. Il n’y a pas 12 constellations du zodiaque, mais 13, et tous les signes astrologiques sont faux!» Nous naîtrions tous en réalité sous le signe qui précède le nôtre: le Bélier en Poissons, le Sagittaire en Scorpion… C’est la fameuse «précession des équinoxes»: chaque année, le Soleil entre un peu plus tard dans les constellations. Alors, comment expliquer que cette prédiction populaire et irrationnelle prospère malgré toutes ses incohérences? Fusion d’entreprises, entrée en Bourse, vente d’appartements ou demande en mariage, les astrologues exercent leur influence occulte, non seulement sur la vie économique et politique du pays, mais aussi sur notre vie privée. Qui vous a vraiment embauché? Un chasseur de têtes ou un astrologue? Qui a convaincu votre femme de divorcer? Sa mère ou un astrologue? Quel est le vrai pouvoir des astrologues en France et jusqu’où sont-ils influents?

Le thème astral

L’astrologue a une voix chaleureuse et un bel appartement aux murs blancs à Boulogne-Billancourt. Assis derrière son bureau, Jean-Yves Espié pianote sur son ordinateur. Jour, heure, lieu de naissance. Les calculs se font vite. En quelques secondes, une carte multicolore apparaît sur l’écran: c’est le thème astral. Il représente la position des planètes au moment précis de la naissance pour chaque signe du zodiaque. Ensuite, tout est question d’interprétation. Vénus est en Gémeaux? «Vous avez un énorme besoin de communiquer», dit-il. La Lune en Vierge? «Vous vous croyez obligé d’être irréprochable.» Il demande si ça colle, risque un conseil, puis se passionne pour l’avenir de son client: expansion pour 2001, phase optimale en juin prochain, et tournant de carrière en 2007.

«Je suis au courant de choses bien plus intimes que les conjoints», assure Jean-Yves Espié.

«Le thème astral d’un client indique pour quel métier il est fait, précise l’astrologue Marie Delclos. Si c’est la musique, ce n’est pas la peine qu’il s’escrime à devenir ingénieur. Bien sûr que l’astrologue a une influence. Il remplace plein de gens à la fois: la confidente, le curé, la bonne amie, le psy…»

Le marché de l’astrologie est en plein boom

Emploi du temps professionnel, assurances, retraite, notre avenir est planifié jusqu’à l’encombrement. Depuis qu’on croit moins en Dieu, on ne supporte plus le hasard. Dans une société de plus en plus individualiste, la responsabilité – le devoir d’être soi, comme disent les gourous de l’ego – est parfois lourde à porter. D’où la tentation de croire qu’on est déterminé, fût-ce par les astres. On est prêt à payer cher ce soulagement – une consultation coûte de 300 à 1 500 francs. On est prêt à tout pour exorciser l’incertitude. Du coup, le marché de l’astrologie est en plein boom. Une quarantaine de revues lui sont consacrées, dont certaines, par exemple Quel Avenir Magazine, tirent à plus de 100 000 exemplaires. 700 codes Minitel, du 36-15 Astro au 36-15 Soleil, proposent des horoscopes à 1,84 franc la minute.

Un besoin de croire

«Il y a chez nous un inéducable besoin de croire, soupire le psychanalyste Gérard Miller, qui s’est amusé à pasticher les 12 signes du zodiaque dans Ce que je sais de vous… disent-ils, un livre qui cartonne depuis sa sortie chez Stock fin novembre. «Nous préférons les contes à dormir debout à la vérité, poursuit-il. N’importe qui se place devant nous, avec assez d’assurance pour affirmer: Je sais ce que tu es, et je vais te le dire?, et celui là, on l’aime, immédiatement. Peu importe ce qu’il dit.» Et pourtant… Un psychiatre, Edouard Collot, et l’astrophysicien Daniel Kunth ont envoyé le même thème astral à une centaine de personnes: 60% d’entre elles, enchantées par la prestation, s’y sont reconnues.

Les « puissants » ne se vantent pas de leurs fréquentations astrologiques

Mais le caractère parfaitement irrationnel de l’astrologie ne semble pas faire reculer la confiance d’une proportion impressionnante de la population, même la plus éduquée. De tout temps, des chefs d’Etat ont consulté des astrologues. Tibère avait ses astrologues à Capri. Deux millénaires plus tard, Ronald Reagan consulte les siens en Californie. Traumatisée par la tentative d’assassinat contre son mari en 1981, Nancy Reagan fut la première à introduire officiellement les astrologues à la Maison-Blanche. Leur mission: établir l’agenda présidentiel. «De Nixon à Hassan II, de Vincent Auriol à Antoine Pinay, sans compter un grand nombre de parlementaires, le monde politique continue à recourir aux services de la prédiction populaire, observe l’historien Georges Minois, qui s’intéresse aux prophètes et à la prospective dans son Histoire de l’avenir (Fayard). Mais les grands de ce monde ne se vantent pas de leurs fréquentations astrologiques. L’homme public doit paraître maître de son destin.» On ne compte plus les parlementaires et les ministres qui mélangent allègrement sondages, statistiques et thème astral. «Mon devoir de réserve m’empêche de donner des noms, assure l’astrologue André Barbault, mais c’est vrai que les périodes électorales sont plutôt fastes.»

Elizabeth Teissier, astrologue attitrée de François Mitterrand

Pour les politiques, comme pour les citoyens ordinaires, c’est moins la connaissance du futur qui importe, qu’une assurance sur le présent, estime Georges Minois (voir l’interview ci-dessous). «Comment je vais, moi, et comment va la France?» demandait François Mitterrand à son astrologue attitrée, Elizabeth Teissier. Le Scorpion de l’Elysée fut-il influencé, un peu, beaucoup, ou pas du tout par la jeune femme? «Il me consultait comme il consultait Attali ou un autre expert, simplement pour avoir les cartes en main», raconte-t-elle dans son best-seller Sous le signe de Mitterrand (Edition n° 1). Choquée par ces révélations, Mazarine Pingeot, affirme, elle, que son père «n’attendait pas les avis de Mme Teissier pour prendre des décisions politiques importantes».

Le député André Santini revendique son intérêt pour cet art

«Des diplomates me téléphonent de l’étranger pour savoir quel est le meilleur moment pour rencontrer tel ministre ou tel ambassadeur, confie l’astrologue Marie Delclos. Les métiers à forte responsabilité augmentent le besoin d’assurance. Plus ils ont des postes élevés, plus les hommes veulent gouverner leur destin.»

En France, seul le député André Santini revendique son intérêt pour cet art divinatoire. «Je ne fais pas partie de ces technocrates qui ne jurent que par les leçons hyper-rationnelles apprises à l’ENA, dit-il. On demande à l’astrologue de prédire l’avenir. A l’homme politique on demande de l’anticiper. Leur rôle n’est pas si différent, en fin de compte. Je lis mon horoscope. Je ne retiens que ce qu’il m’annonce de positif. Quand les prédictions sont mauvaises, je m’assois dessus.»

Basile de Koch, qui a longtemps fréquenté le milieu politique – il fut «nègre» de Charles Pasqua et de l’UDF pendant quinze ans – se définit, lui aussi, comme un consommateur d’astrologie. «Elle n’est pas uniquement réservée aux faibles d’esprit, dit-il. Quand on a consulté des experts sur le Nasdaq, la démographie, les sondages, pourquoi ne pas regarder aussi les transits planétaires? C’est un son de cloche supplémentaire, je ne vois pas pourquoi je m’en passerais.»

L’astrologie, un outil de recrutement occulte

Si les élus sont rares à s’afficher avec leur astrologue préférée, les chefs d’entreprise ne se vantent pas non plus de consulter les astres pour choisir leurs collaborateurs, à quelques exceptions près, comme le couturier Léonard ou Jacques Dessange, en novembre 1995, dans l’émission Ça se discute. Pourtant, l’astrologie est devenue un outil de recrutement, au même titre que le test psychologique ou la graphologie.

«Elle séduit les recruteurs qui ont peur de se tromper sur un candidat, car s’ils se plantent cela coûte cher à l’entreprise, explique le consultant Christian Balicco, qui démonte cette technique dans son ouvrage Les Méthodes d’évaluation en ressources humaines (Editions d’Organisation).

Le CV, les diplômes et la motivation ne rendent plus suffisamment compte, selon eux, du potentiel des candidats. En utilisant l’astrologie, ils ont le sentiment de réduire le risque d’erreur.» Ou de partager la faute avec le Soleil et la Lune. Certaines entreprises font donc appel à des astrologues pour savoir qui du Scorpion ou du Sagittaire intégrera le mieux l’équipe en place.

«J’ai fait du recrutement professionnel à tour de bras pour un grand cabinet parisien, confie l’astrologue Claire Lévi, je devais étudier 40 thèmes astraux par semaine, ceux de cadres de haut niveau. C’était une pratique occulte, personne n’était au courant.»

Et pour cause, il suffit au recruteur de passer un coup de fil à la mairie de naissance du candidat pour savoir à quelle heure il est venu au monde. Ces pratiques ne sont plus tolérées par l’Inspection du travail, qui s’est dotée, en 1993, d’un article de loi sur la question. Il permet au candidat écarté d’un emploi pour cause de «capricornisme» d’engager une action en justice s’il conteste les techniques de recrutement ou si ces techniques lui sont cachées. «C’est un viol de personnalité, s’insurge Robert Papin, directeur de HEC Entrepreneurs. Que l’on puisse l’utiliser comme méthode de sélection pose un problème d’éthique. On n’a pas le droit d’aller si loin dans la connaissance d’un individu sans son accord préalable.»

L’astrologie financière, fondée sur les mouvements d’Uranus

C’est dans la finance que l’astrologie a sans doute fait la plus forte percée, ces dernières années, en particulier pour les investissements en Bourse. Comment devenir plein aux as? Tout simplement grâce à l’astrologie financière, fondée sur les mouvements d’Uranus, qui fait rage à Wall Street. Des milliers de spéculateurs ne jurent plus que par elle et les compagnies ont leur propre horoscope. En France, une poignée d’astrologues prodiguent leurs conseils aux investisseurs, dont Jean-François Richard, qui publie Bourse anticipation, un bulletin mensuel donnant les tendances générales à suivre, tandis qu’ils sont 150 aux Etats-Unis, notamment Arch Crawford, qui a sa lettre depuis 1977, et Henry Weingarten, le président fondateur de la New York School of Astrology.

Risque immobilier

«Qu’ils soient hommes d’affaires, artistes, maires ou secrétaires, les gens n’ont jamais eu autant besoin d’être rassurés, raconte l’astrologue Jacqueline Aimé. L’époque est angoissante, il y a la vache folle, le chômage, la couche d’ozone… Or, ils veulent tous que des choses merveilleuses leur arrivent. Je cherche à les aider, à les empêcher de faire des erreurs. Quand un client veut prendre un risque en immobilier, je lui dis: Pas tout de suite, vous allez vous casser la figure. Si j’étais vous, je me tiendrais tranquille; en revanche, à partir de tel mois, vous pouvez. En général, il m’écoute.» 46% des Français croient à l’explication des caractères par les signes astrologiques, selon un sondage Sofres.

Trois sujets de discussion favoris: l’amour, le travail, la santé

C e sont les premiers horoscopes dans Paris Soir, en 1935, et dans Marie-Claire, trois ans plus tard, qui ont lancé la campagne d’alphabétisation zodiacale en France. Très vite, le marché est inondé par des produits surfant sur la vague astrale: pendentifs, médailles, bracelets, cartes postales, agendas, sachets de sucre en poudre… Très vite, tout le monde connaît son signe astrologique: on raisonne astro, on lit astro, on parle astro. Quand on va bien, on est au «septième ciel». Quand on va mal, on est «mal luné».

L’astrologie se charge de répondre à nos trois sujets de discussion favoris: l’amour, le travail, la santé. Vais-je réussir mon examen? Trouver un travail? Tomber amoureux? Ce sont les femmes et les jeunes qui en sont les plus friands. «On pensait qu’avec les progrès de la science et l’augmentation du niveau culturel la croyance en l’astrologie reculerait pour ne persister que chez les plus âgés et les moins éduqués, explique Jean-Bruno Renard, sociologue de l’imaginaire, à l’université Paul-Valéry de Montpellier. Or, c’est faux: elle est plus répandue chez les cadres moyens et supérieurs que parmi les agriculteurs et les ouvriers; et chez les gens ayant un niveau d’études secondaires ou même supérieur.» L’astrologie fascine par son apparence complexe, pseudo-rigoureuse, «scientifique», qui tranche avec les méthodes populaires de divination.

Les histoires de couple

«Les histoires de couple, c’est 70% de mon travail, raconte l’astrologue Laurence Gonzales. On arrive parfois à rétablir des situations. Le thème astral révèle si la relation est fondée sur le maternage, la sexualité, la discussion… Je décris aux femmes comment leur partenaire fonctionne, et comment se comporter avec eux. Si les maris savaient, on les manipule complètement!» Jamais les astrologues n’ont eu autant d’influence sur la vie privée des Français. A eux de vérifier si le petit ami Cancer ascendant Verseau est astralement compatible, ou si les enfants sont faits pour maths sup ou lettres modernes. Bref, à eux de dire qui l’on est, et ce que l’on doit faire.

«J’essaie de garder un neutralisme bienveillant et de ne pas trop influencer, explique Jean-Yves Espié. Mais quand la demande est trop forte, c’est vrai, j’ai tendance à me mouiller.» Se mouiller, c’est lâcher: «A votre place, je ferais ça.»

L’astrologie sert de pilule du bonheur

L’opération est réussie, selon les astrologues, si la personne repart soulagée. La béquille astrologique aide à croire qu’on marche droit. Mieux qu’un orientateur – qui lui n’a pas la caution du ciel – elle met le client sur des rails. «Je ne suis pas du genre à lire dans le marc de café, raconte Josiane, 50 ans, professeur de droit. Mais j’étais en train d’écrire un livre et je n’en voyais pas le bout. Mon astrologue m’a dit: ?Vous allez y arriver.?» Au bout d’une heure de consultation, la plupart des clients ont l’impression de sortir nus comme des vers, disent-ils, déshabillés par un parfait inconnu. C’est cette sensation qu’Edouard Collot et Daniel Kunth racontent très bien dans leur formidable livre Peut-on penser l’astrologie: science ou voyance? (éd. Le Pommier). Par défi, et par souci d’informer, explique le psychiatre et l’astrophysicien, qui ne croient pas du tout à l’astrologie, ils ont consulté. Ils racontent comment l’astrologue, maître du jeu, s’y est pris pour les charmer. Et pourquoi la formule, bien rodée, séduit. «J’ai gardé le sentiment que l’effet Barnum avait joué: on aime à entendre parler de soi, et on en vient tout naturellement à participer, analyse Daniel Kunth. Influence, suggestion, compromis, il se construit progressivement une histoire convenable pour le consultant et le consulté.» Et Edouard Collot d’ajouter: «Je me suis senti emporté dans mon histoire, héros d’un roman qui m’était conté, dit-il. Le client se trouve en situation d’attente croyante, il n’entend du tiers que ce qu’il est venu chercher. On n’écoute que ce qui nous plaît. Le reste, on n’en tient pas compte. C’est plus ludique qu’une séance chez le psy. L’astrologie sert de pilule du bonheur.»

L’astrologie sert destin des rois et des nations

Malgré les démonstrations des scientifiques, malgré leurs erreurs de prédiction, les marchands de bonheur ont repris la place privilégiée qu’ils occupaient jadis. L’astrologie, telle que nous la connaissons aujourd’hui, est née chez les Chaldéens, en Mésopotamie, il y a deux mille cinq cents ans: la position des astres influencent, selon eux, le destin des rois et des nations. Les plus grands princes s’attachent des astrologues comme conseillers, entre le XIIe et le XVIe siècle. La reine Catherine de Médicis a toujours avec elle trois astrologues, dont Nostradamus. Mais, en 1666, le vent tourne brutalement: Colbert exclut l’astrologie de l’Académie des sciences et interdit aux astronomes d’interpréter des horoscopes.

Le supermarché du religieux

Le retour des astrologues signifie-t-il que nos contemporains ont de nouveau quelque chose à leur demander? «Si les gens continuent de croire à l’effet des planètes sur leur caractère, c’est que l’enjeu se situe en dehors du vrai ou du faux, explique le sociologue Guy Michelat, chercheur au CNRS. Les Eglises et la science ne remplissent plus leurs fonctions protectrices, l’astrologie a pris le relais. Nous devons désormais bricoler nos propres valeurs avec tous les tâtonnements et les dérives que cela suppose.» Bienvenue dans le supermarché du religieux, où chaque consommateur choisit ce qui lui plaît. La réincarnation, les anges, la télépathie, la boule de cristal et l’astrologie sont en libre-service dans cette quincaillerie de l’occulte. Peu importe la logique et le dieu auquel on se livre: chacun recherche ce qui lui fait du bien. Et l’astrologie sait y faire.

Le culte de Madame Soleil

Cette «croyance clignotante», comme l’a baptisée le sociologue Edgar Morin – un jour on y croit, on est sceptique le lendemain – flatte notre ego. «Tout le monde lit l’horoscope, parce que c’est le seul endroit dans le journal où l’on nous parle vraiment de nous», analyse Daniel Blau, chargé de cette rubrique, au magazine Elle. Indifférente à notre mal-être, la science ne parvient pas à répondre à la question qui nous taraude: pourquoi est-ce à moi et aujourd’hui que ça arrive? Le savant parle de génétique, de probabilités et de loi des séries, alors qu’on «se fantasme» unique, choyé ou non par le destin. «Non seulement l’astrologie m’aide à mieux me connaître, explique Anne, 40 ans, consultante, mais elle me prépare à ce qui peut survenir.» Pendant que les astronomes accèdent aux milliards d’années-lumière, les astrologues proposent aux humains solitaires leurs remèdes millénaires contre l’angoisse. Leur réussite est à la mesure de la «faillite» de la science. «Au moment où l’homme a fait ses premiers pas sur la Lune s’est épanoui quelque part sur terre le culte de Madame Soleil», écrit Edgar Morin dans son étude incontournable consacrée à l’astrologie, La Croyance astrologique moderne (éd. L’Age d’homme). «Le succès de l’astrologie témoigne aussi d’un refus obstiné de l’homme de rompre les amarres qui le rattachent à l’Univers, observe Solange de Mailly Nesle, qui dirige l’Agapé, l’une des seules écoles d’astrologie en France. Mal utilisée, elle est réduite à de l’événementiel, un destin, une prédiction populaire qui aura réponse à tout. Je trouve cela dangereux.»

Une spiritualité au rabais

Entre le terrain qu’a gagné la technique et celui qu’a perdu la religion, les marchands de rêve se sont engouffrés dans ce no man’s land où tout, ou presque, est autorisé. Il est permis de prédire une maladie, un mariage, une embauche. Même si cela ne doit jamais arriver. «C’est une spiritualité au rabais! s’indigne l’astronome Jean-Claude Pecker, professeur au Collège de France. Les astrologues utilisent un charabia pseudo-scientifique qui ne veut rien dire.» Dans les années 70, avec le bataillon de scientifiques de l’Union rationaliste, il n’avait pas hésité à demander à Europe 1 de mettre fin aux émissions de Madame Soleil, qualifiées d’escroquerie morale. Aujourd’hui, médecins, scientifiques, et astrologues eux-mêmes dénoncent les ravages psychologiques causés par de dangereux charlatans.

«L’astrologie peut se révéler un terrible outil de manipulation, prévient le psychiatre Edouard Collot. J’ai en ce moment deux patients en traitement: au premier, on a annoncé un accident et une paralysie, et le second ne peut plus prendre une décision sans consulter ses trois astrologues! Tout outil utilisé pour exercer une pression psychologique, une influence constitue une violence psychique.»

L’astrologie doit rester un métier d’aide et de conseil

Martine Barbault, astrologue, reconnaît qu’il est très facile de tenir une clientèle en état de dépendance. «Les gens nous attribuent un pouvoir illimité parce qu’ils sont fascinés qu’on leur parle d’eux avec une carte, dit-elle. Certains astrothérapeutes abusent de cette confiance sur des clients vulnérables, c’est dramatique.» Assis à côté de sa nièce, le célèbre André Barbault ajoute: «L’astrologie doit rester un métier d’aide et de conseil, non un outil aux mains de gourous.»

Qui sont donc ces gens capables de rendre accros les consommateurs d’art divinatoire? N’importe qui. N’importe qui peut, en effet, se prétendre astrologue. D’un psychologue on exige une formation, mais, avec un astrologue, il n’y a aucun moyen de contrôle. Certains ne sont même pas déclarés, préférant cumuler leur pratique avec un autre emploi. Voyants cartomanciens, astrologues, marabouts: le marché de la divination, dont le chiffre d’affaires est aujourd’hui estimé à 21 milliards de francs par la Direction de la concurrence, de la consommation, et de la répression des fraudes, qui la considère comme un secteur «propice aux activités illicites». Certains professionnels ne respectent pas en effet leurs obligations en matière d’information du consommateur, et les clients sont parfois victimes d’abus de faiblesse, voire d’escroquerie. Les astrologues, eux, semblent pour l’instant incapables de se regrouper à l’intérieur d’une corporation, qui exigerait de la part des membres une compétence sérieuse en astrologie et en psychologie, ainsi qu’un engagement à respecter un code de bonne conduite professionnelle: ne pas influencer, ne pas déterminer, et, surtout, faire extrêmement attention à la personne que l’on a en face de soi.

Un commentaire sur “Etonnante influence

  1. A reblogué ceci sur L'actualité de Lunesoleilet a ajouté:
    Un article à lire au coin du feu, placé dans votre fauteuil préféré ou encore à boire une boisson chaude tranquillement, les pensées détachées sans aprioris sur les récits cocasses des salons mondains les uns paraphrasant sur l’astrologie, les autres imaginant le pire.
    Vous l’aurez compris l’astrologie de monsieur et madame tout le monde, couramment nommée « horoscope » n’a rien à voir avec une astrologie haut de gamme dont l’astrologue sera choisi pour sa discrétion et ces compétences à manier les formules d’interprétations. Et oui ça ne s’invente pas d’être astrologue d’un président, premier ministre ou encore d’un député, d’un patron et que sais-je encore. Cet article nous en apprend de long en large de ces milieux à hauts risques ou le secret professionnel est exigé.
    Cet article a été publié, sous une conjonction de Jupiter et Saturne tous les deux en phase rétrograde, je ne pense pas que sous une phase direct, l’opportunité de publication aurait été plus profitable ? L’heure de la publication sur « l’espress » donne minuit et situe la conjonction de Jupiter/Saturne au MC, je me pose la question si la journaliste est aussi astrologue ?
    Plusieurs astrologues sont cités dans cet article en l’occurrence Elisabeth Teissier, dont son ciel de naissance n’est plus un secret, naissance sous un Soleil en Capricorne à proximité de Jupiter et en conjonction Vénus elle-même conjonction de Mercure rétro, sachant que le Capricorne incarne la politique et que pour une femme le Soleil représente le schéma des hommes qu’elles attirent. Je me posais la question de savoir si le fait d’avoir son Soleil en Capricorne, favorisait avec plus de facilité d’entretenir une relation astrologique avec un homme politique ?
    On apprend que l’astrologue Maurice Vasset connu sous le pseudonyme « Régulus » aurait conseillé Charles de Gaule, son Soleil est en conjonction à la Lune du président dans le Bélier … un article à consommer avec modération …

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